Marc Copland et Riccardo del Fra en première mondiale à Paris
Paris. Le Sunside. Lundi 25 janvier 2010. 21h
Marc Copland : piano
Riccardo del Fra : contrebasse
La photographie de Marc Copland est l'oeuvre de Juan Carlos HERNANDEZ.
Marc commence. Le rêve éveillé aussi. « All of You » un standard. Riccardo Del Fra joue précis, avec des petites notes sèches puis il s’arrondit. Pour l’instant, ce sont deux discours parallèles. Ca commence à se mêler lorsque Marc reprend la main. Marc Copland chantonne, fait ruisseler le piano. Il est dans son monde. Del Fra l’observe, l’écoute, l’accompagne. Il fluidifie son jeu pour entrer dans celui du pianiste.
Intro de Copland qui pose un rythme grave, lourd même, de la main gauche alors que la main droite est inquiétante dans le medium. Del Fra pose la base et Copland s’envole au dessus. Toujours cette ambiance lourde de la main gauche alors que la main droite mène une course folle. Ca sonne comme l’hallali du cerf. Del Fra a trouvé Copland. Leurs âmes se rejoignent dans la musique. Del Fra fait vibrer ses cordes au fond du ventre alors que Copland poursuit sa gigue inquiétante. C’est une musique qui nous emmène loin, dévalant les montagnes, courant les plaines. Dans une vision plus sombre, cette musique sonne comme l’homme qui voit la lumière au bout du tunnel sans pouvoir s’en approcher.
Intro au piano. Esprit de Claude Debussy, es tu là ? Del Fra s’est mis dans le courant et il nage dans les mêmes eaux que Copland. Le piano ralentit le temps comme des montres molles de Dali. Il y a un standard caché derrière cette musique. Une ballade. Du Monk ? Et toujours ces trilles de piano qui embellissent le thème, le parent d’azur et d’or. La contrebasse fait une grosse voix de grand père bougon et taquin. Peu de gens applaudissent les solos. Le public reste attentif, concentré.
Le piano fait l’intro puis Del Fra ajoute une pulsation souple, subtilement funky. Ils se regardent. La discussion est belle, riche, douce et vive à la fois. La pression monte imperceptiblement. L’esprit de la danse nous rend visite. Cela devient une sorte de valse à la Bill Evans. Il y a des accélérations, des descentes harmoniques, des tours et détours. Un parfum frais et léger flotte dans l’air. C’est le printemps par la magie de la musique. Le piano creuse sa vague, emportant tout sur son passage. La contrebasse vogue en équilibre dessus. Marc Copland est inspiré. Riccardo del Fra le stimule. Tout batteur serait superflu ce soir. Marc Copland vient de sortir un album en duo avec un autre Maestro de la contrebasse, M. Gary Peacock. Je n’ai pas encore écouté cet album mais je me demande déjà s’il est à la hauteur de ce concert. Copland ralentit l’air pour le final tout en gardant la tension. Comme nous, Del Fra écoute et déguste en silence.
« Round about Midnight ». L’air est reconnaissable dès les premières notes. Ensuite Copland le masque subtilement. Cette musique est propice à la rêverie. Del Fra prend la main pour un solo profond qui vous remue le cœur et le ventre. Puis Copland remonte, rejoint Del Fra, reprend légèrement la main. Un petit pont final nous permet de franchir le ruisseau du désir.
Un morceau de Jazz funky. Art Blakey, je pense. Del Fra joue subtilement funky. Copland est toujours impressionniste, par dessus la contrebasse. Ca tourne mais pas en rond.
PAUSE
Marc et Riccardo discutent sur scène avant de reprendre. Tout sourire. L’entente cordiale est évidente. Marc reprend par une ballade. Riccardo entre dedans avec grâce. Il prend de plus en plus sa place. Maintenant c’est lui qui mène et Marc qui accompagne. La contrebasse de Riccardo est grande, large, de couleur sombre, parfaitement adaptée à cette musique, même visuellement. Ca sent la terre mouillée après la pluie, un parfum chaud et lourd de vie.
« Softly as in a morning sunrise ». Le soleil se lève en pleine nuit. Ils jouent joyeusement mais toujours avec cette pointe de mélancolie propre à Marc Copland. Del Fra s’anime, se met à chantonner à son tour. Marc a pris la main chantonnant, virevoltant. Del Fra est bien présent, juste derrière. Fausses fins qui sont autant de détours pour nous amener voir des paysages inconnus des guides.
Un standard dont le titre me revient. « Fall » (Wayne Shorter). Une idée de la chute qui n’est pas celle de la Bible , avilissante et définitive. Il s’agit ici de glisser pour mieux remonter, de s’abandonner pour dominer son sujet. Je me surprends à chantonner l’air mystérieux et envoûtant de Wayne Shorter. Wayne Shorter qui sera d’ailleurs le sujet de la prochaine leçon de Jazz d’Antoine Hervé. La tension monte, la musique devient plus dense avant de s’estomper dans l’instant suivant.
Première introduction à la contrebasse du concert. C’est dire si Riccardo del Fra a pris sa place. C’est véloce. La musique court sous les doigts de Riccardo. Marc entre en jouant « I remember You ». Une autre preuve que Riccardo a pris toute sa place, c’est qu’il ne regarde plus Marc Copland. Il joue, regard tourné vers le haut. Chacun est dans son monde et ces deux mondes n’en font qu’un. Fusion dans la tension vers le final.
Une dernière ballade « My foolish heart ». Bill Evans et Stan Getz la jouaient si bien…Le cœur fou se met à nu. Del Fra plane avec profondeur et légèreté, alliance rare. Le temps suspend son vol pour la coda.
Fin du concert. Riccardo et Marc se serrent la main avant de quitter la scène. C’était le premier concert de ce duo. Plaise aux Dieux qu’il y en ait d’autres !