Escreet me laisse sceptique
Paris. Le Duc des Lombards. Samedi 16 janvier 2010. 22h
David Binney : saxophone alto
Ambrose Akinmusire : trompette
John Escreet : piano
Nat Brewer : contrebasse
Nasheet Waits: batterie
La photographie de Nasheet Waits est l'oeuvre du Superbe Juan Carlos HERNANDEZ.
En attendant le concert, Ray Charles période Atlantic en fond sonore. C’est toujours bon. C’est la première fois que je vois un musicien draguer une spectatrice avant un concert. Ca a l’air de marcher. C’est une façon comme une autre de s’échauffer. Les musiciens montent sur scène et ils attendent avant de commencer le concert. Le trompettiste peut-être ? Ca part avec la rythmique. Un air lent, décomposé comme une montre de Dali. Nasheet Waits est tout de suite éblouissant. Le trompettiste est arrivé. Ils jouent une sorte de plainte étrange. Ces petits gars ont beaucoup écouté Wayne Shorter manifestement. Démarrage à 22h35 d’un concert annoncé pour 22h. Ca raccourcit forcément notre plaisir puisque le samedi soir, à minuit, au Duc des Lombards, c’est le bœuf. Le trompettiste se prend pour Freddie Hubbard, virtuose mais peu émouvant. Nasheet Waits installe un groove implacable avec le contrebassiste. Le sax alto tournoie au dessus. Ca pulse bien en trio sans piano avec l’alto. C’est viril, musclé mais Pierrick Pédron n’a rien à craindre de ce virtuose. Même pour un quintette acoustique, il y a un ordinateur portable Pomme sur la scène. Nous vivons une époque formidable. Le progrès fait rage. Le saxophoniste pousse l’alto dans ses retranchements dès le premier morceau mais c’est démonstratif. Retour au calme avec une trompette méditative alors que la rythmique ronronne souplement. Je crois que je ne dirai jamais assez de bien de Nasheet Waits. S’il pouvait jouer avec Martial Solal, Enrico Pieranunzi, Tigran Hamasyan, mon bonheur n’en serait que plus grand. La trompette monte en puissance, pince, gémit, gronde. Freddie Hubbard s’est réincarné. Ca pète mais lui aussi a tendance à trop démontrer. Cette jeune garde new yorkaise sonne vraiment beaucoup comme Wayne Shorter et Freddie Hubbard il y a 45 ans… Le pianiste aime l’abstraction, les ambiances sonores., la liquidité, la vivacité. Le jeu très vif des mains sur le piano rappelle le classique. L’ordinateur, mis en route par David Binney, sert à ajouter des nappes sonores genre film d’horreur de série B. C’est l’attaque des Martiens maintenant. Seul le contrebassiste résiste encore et toujours à l’envahisseur. Ca se termine par un joli pas de deux rêveur entre la trompette et la contrebasse.
Démarrage en solo du pianiste qui, décidément, aime distiller le temps. La demoiselle que draguait le musicien se descend une bouteille de vin rouge à elle seule. A la fin de la bouteille, il a sa chance. La rythmique redémarre en souplesse. La subtilité et la variété du jeu de Nasheet Waits me laissent pantois. C’est un batteur coloriste, mélodiste. Il ne frappe pas, il ponctue. Le quintet revient à un son plus classique, Blue Note des 60’s, enfin canal Shorter :Hubbard. Le trompettiste sait respirer, développer, déployer son thème mais il n’a pas l’intensité émotionnelle d’un Booker Little. Solo de trompette poussé au Q par la contrebasse et la batterie. Retour du quintette et du thème. Le pianiste aime décaler les sons. La main gauche entêtante dans le grave alors que la main droite se promène sur le clavier. Soutien toujours aussi fin et puissant du contrebassiste et du batteur. C’étaient deux compositions du pianiste, sans titre pour l’instant.
« Charlie and the Parker » (Muhal Richard Abrams). Ce serait un homage à Charlie Parker que cela ne m’étonnerait pas. Démarrage des cuivres dans le même souffle. La demoiselle qui se faisait draguer répond au téléphone pendant le concert ! Petites accélération du sax alto typiques du son parkérien. Par instants seulement. La musique tient en l’air par la grâce des deux souffleurs. Ils sont dans le même souffle et introduisent de subtiles variations. Le groupe entre après ces 5mn d’apesanteur. Personne n’applaudit. Le public retient son souffle. Solo de sax alto souple, soufflé, chuinté avec un gros son. Très belle maîtrise technique et pourtant, comme disait la reine Victoria, « I am not amused ». C’est travaillé, ambitieux mais ennuyeux. Le pianiste est un fanatique des ambiances fantomatiques. Duo trompette/batterie. Le batteur est riche, foisonnant, inquiétant. Le trompettiste est virtuose et ennuyeux. Le solo de contrebasse est agréable mais anecdotique à côté d’un solo d’Henry Grimes ou de William Parker sans parler d’Henri Texier. Dans son solo, le pianiste est passé du fantomatique au rêveur. Le trompettiste arrive à imiter le meuglement de la vache. Très fort ! Ce groupe swingue froidement. Tel est le paradoxe vivant de ces jeunes musiciens. Beau démarrage du saxophone alto avec le groupe qui suit derrière. Le pianiste John Escreet joue dodécacophonique. Pourquoi s’énerve t-il ainsi ? Oh, l’horrible nappe gluante sortie de l’ordinateur. C’est froid et collant à la fois. Beurk ! Beau final swinguant, carré avec le sax alto qui tourne autour de la mélodie. Là, ça ressemble à quelque chose. Et Nasheet Waits, somptueux comme toujours. Malheureusement, David Binney nous remet une couche de froid gluant pour le final. Est-ce bien nécessaire ?
Après le concert, j’ai discuté avec le pianiste Pierre de Bethmann qui, lui, a beaucoup aimé. De gustibus et de coloribus non disputandum.