Le Jazz a cessé de m'intéresser en 1923 (Darius Milhaud)
Cet article est dédié au pianiste et musicologue Ziad Kreidy qui m'a mis sur ces pistes entre Jazz et classique. Les élucubrations qui suivent sont miennes.
Lectrices raffinées, lecteurs esthètes, vous connaissez forcément le compositeur français Darius Milhaud.(1892-1974). En 1923, Darius Milhaud, marqué par le Jazz qu'il avait découvert à Londres en 1918, dans la même ville que Louis-Ferdinand Céline un an auparavant, composa " La création du monde " oeuvre inspirée par le Jazz. Ensuite, déclare t-il dans une interview de 1958, le Jazz ne m'a plus intéressé.
Dommage pour Darius. C'est en effet en 1923 que Duke Ellington (1899-1974) créa son orchestre qu'il fit évoluer sans discontinuer pendant plus de 50 ans. S'il avait écouté son ami Jean Cocteau, premier président de l'Académie du Jazz, spectateur passionné du festival de Jazz de Cannes 1958 (conservé par l'INA et diffusé par Mezzo les jeudi 22 et 29 mai 2014 à 20h30), Darius Milhaud aurait pu ouvrir son esprit.
Il aurait aussi pu apprendre qu'il n'existe pas de la musique sérieuse et de la musique légère comme il dit mais seulement de la bonne et de la mauvaise musique comme disait Duke Ellington. " Je me méfie des gens sérieux. Ce sont toujours eux qui font les pires conneries " (Pierre Dac). Le Jazz porte depuis ses débuts la dignité des persécutés (Noirs, Juifs, Italiens, Tziganes). Le Français de confession isréalite, comme il aimait se qualifier, Darius Milhaud, qui dut quitter son pays en 1940 pour échapper à l'envahisseur allemand et à ses collaborateurs français, aurait dû le comprendre.
Darius Milhaud qualifie le Jazz de musique de compositeurs anonymes ce qui prouve qu'il confond les musicals de Broadway avec le Jazz, qu'il ignore les compositeurs du Jazz comme Duke Ellington, le plus grand compositeur et chef d'orchestre de l'histoire du Jazz.
Il estime aussi que le Jazz a chassé les miasmes de l'impressionnisme ce qui était vrai en 1923 mais partiellement faux en 1958. Claude Debussy était le compositeur préféré de Duke Ellington et son influence sur Bill Evans était immense. Les miasmes avaient disparu, pas l'impressionnisme en musique.
Bref, en 2mn, Darius Milhaud dit à la fois des choses intelligentes et des âneries énormes. Il stimule et dérange. C'est le propre des grands esprits.
En 1958, Darius Milhaud n'était pas au concert de Duke Ellington à Paris, salle Pleyel. Il avait bien tort. Heureusement, l'INA a conservé pieusement l'image et le son et les vend avec Mezzo en DVD chez tous les marchands dignes de ce nom. Quelle évolution dans le son de l'orchestre depuis 1923! Darius Milhaud s'en serait certainement aperçu s'il avait voulu l'écouter.