Médéric Collignon met du piano dans son Jus de Bocse

Publié le par Guillaume Lagrée

 

Médéric Collignon « Jus de Bocse ».

Paris. Le Sunside.
Jeudi 7 janvier 2010. 21h.


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Médéric Collignon
: cornet de poche, voix
Mathieu Jérôme : Fender Rhodes
Frédéric Chiffoleau : contrebasse
Philippe Gleize : batterie

Invité:
Yvan Robillard : piano

La photographie de Médéric Collignon est l'oeuvre de Juan Carlos HERNANDEZ.





Médéric Collignon et son « Jus de Bocse » ont pris possession du Sunset et du Sunside du mercredi 6 au samedi 9 janvier 2010. Le « Jus de Bocse » est une réinterprétation de la musique de Miles Davis entre 1968 et 1975 (cf le livre " Electrique de Miles Davis 1968-1975 " de Laurent Cugny). Chaque soir, un invité différent. J’étais au concert du mercredi 7 janvier avec le pianiste Yvan Robillard.

Son étouffé, prolongé de la trompinette. Très davisien. Ca commence à péter, à grogner. Le groupe devient une immense caisse de résonnance. La contrebasse est électrifiée, sonne comme une basse mais c’est une contrebasse. Dans l’instrumentation, Médéric reste proche du Miles Davis de 1969 mais il n’y a personne pour jouer le rôle de Wayne Shorter au saxophone. Il n’a pas non plus recruté son Michael Henderson, bassiste que Miles prit à Stevie Wonder et conserva de 1970 à 1975. En tout cas, la musique groove comme bien peu de Français peuvent le faire. Je persiste cependant à penser que Médo devrait changer de groupe pour passer au stade supérieur de la Force, dans la quête du Saint Groove. Ca avance, ça recule, ça tourne, ça creuse. Depuis la mort de Don Cherry (1995), Médéric Collignon a repris en main le cornet de poche.

Attaque du piano. Médo siffle, gorgne, encourage. Superbe ligne de basse sur laquelle Médo fait des bruits de bouche mouillée. Tou tou, Tou tou, Tiu tou tou…Retour à la trompinette avec ce son mouillé bien particulier. Il reproduit le même genre de son avec la bouche et la trompinette. J’espère que Miles Davis s’amuse bien à écouter cela de là haut. Ca accélère et nous emmène. Alors que j’ai la sensation de ne pas entendre le piano, le voilà qui se fait entendre. Le clavier joue plus calmement alors le piano se dégage. Montée orgasmique musicale. Ca vibre dans le ventre. Ca commence à prendre. Des jolies filles dansent sur leur chaise, des hommes arborent un sourire béat de contentement.

Transition directe sur un morceau de « Bitches Brew ». Gros son de contrebasse. Médo fait vibrer, gronder, miauler sa trompinette. Il cherche sans cesse à dépasser les limites de son petit instrument. Il passe aux borborygmes bien graves, au scat, revient à la trompinette. Finalement, le point commun entre Médéric Collignon et Martial Solal, car il y en a un, c’est la volonté constante de se surpendre, de nous surprendre. La son suraigu de trompette qui vous vrille par surprise en une fraction de seconde, ça aussi ça vient de Miles. Médéric c’est une fusion de Miles Davis (pour la musique), Dizzy Gillespie (pour le côté clown génial et le scat) et Don Cherry (pour l’instrument mais sans la curiosité multiculturelle pour l’instant). Et puis, pour lier tout ce mélange, il y a Médéric Collignon lui même. Retour à cette ligne de basse sourde, entêtante dans la Danse du Pharaon (Pharaoh’s Dance) du Brouet des Putains (Bitches Brew). Philippe Gleize n’est pas Jack de Johnette et ça s’entend. Il porte bien son nom, ce garçon. Il est trop ancré dans la Terre à mon goût. Solo de Fender dans l’aigu, assez intéressant. La tension monte. Le Fender sonne bien trafiqué, saturé. Médo chante, hurle. Par instants, j’entends le piano derrière le groupe.

Les morceaux s’enchaînent, comme chez Miles il y a 40 ans. A cette époque Miles jouait avec Chick Corea (Fender Rhodes), Wayne Shorter (sax ténor, soprano), Dave Holland (contrebasse), Jack de Johnette (batterie). Médéric peut toujours essayer, il n’arrivera jamais au niveau de cette bande de génies. En tout cas, il fait revivre, rajeunir cette musique et c’est déjà bien. Pour écouter l’original, écoutez de Miles Davis « Live Evil », « Live at Fillmore », « Live at the Isle of Wight », « Live at the Cellar Door » tous enregistrés en 1970. Médéric est plus dispersé dans son jeu que Miles car c’est sa façon d’être, de vivre, de jouer. Swing ultra rapide du piano sur le groove implacable de la rthmique. Explosion finale de trompinette.

Médéric commence à taper dans les cordes du piano. Puis il joue dans le piano produisant un son de flûte à la trompinette. La contrebasse commence à poser le rythme. La batterie la rejoint. Philippe Gleize passe aux balais pour pétrir la terre. Médo est passé au bugle. Son plus grave, plus souple, lus chaud que la trompette de poche. Belle ballade chaude, virile. Enfin Fender et piano échangent, se répondent au lieu de se succéder. La contrebasse ne bouge pas de sa ligne. Le batteur malaxe doucement aux balais. Les claviers distillent les notes en perles de rosée. Médo nous fait le moine tibétain avec la voix. Puis il déploie son chant comme un aigle ses ailes. Retour des baguettes à la batterie. La musique s’énerve.

Retour au Miles des 70’s. Après une série de bêtises, Médéric et le groupe se lancent. C’est « Jack Johnson ». Médo a repris la trompinette. Steve Grossman avait 17 ans lorsqu’il participa à l’enregistrement de cet album. Il succédait à Wayne Shorter dans le groupe et il était pétrifié. Miles lui a juste dit : « Joue comme tu sais jouer » et il a joué. Médo scande le rythme par la voix, les gestes et les sifflements. Puis il repart en jouant, se balançant comme un culbuto. Gros son de la contrebasse très amplifiée. Le son vibre, gronde. Médo contre attaque. Le groupe enchaîne sur le final rapide de Jack Johnson. Ca s’énerve vraiment. Bataille entre piano et Fender. Ca pousse et la trompinette gémit, crie, vibre.

PAUSE

Miles des 70’s. Solo de trompinette pour commencer. Certains spectateurs bavardent, d’autres leur font chut…Le groove s’installe. La rythmique ne lâche rien alors que Médo place des petites phrases sèches par dessus à la Miles. Cette fois, le piano se distingue bien de la masse sonore de la rythmique. Ca vient de l’album « Big Fun » (Miles Davis) je pense. Rupture chaotique puis ça repart. Ca frotte, c’est chaud. Rythmique très soudée, piano et trompinette volent au dessus. En gardant la même ligne de basse, le rythme accélère et le Fender commence à briller de mille feux. Le piano se met au diapason et ça monte synchrone dans une musique gorgée de désir.Le son de la trompinette reste calme au dessus du groupe en fusion.

Retour à « Bitches Brew » et à un certain calme. Quoique. Ca va moins vite mais ça reste puissant. Je sens quelque chose se préparer. Médo vocalise et scatte. Puis ça repart sur un tempo rapide par la contrebasse puis le reste du groupe. Médo vocalise, scatte alors que le groupe monte en puissance. Ca tourne à la course folle de voitures. Même le piano se fait entendre dans la masse sonore. Médo repart à la trompinette avec le groupe. Ca envoie comme une escadrille de chasseurs sur la cible.

« On va faire un Funk qui s’appelle « Billy Preston » annonce Médéric. Ce morceau de Miles Davis a été écrit en hommage à un joueur de claviers électriques Noir américain. Ca se trouve sur l’album « Get up with it ». Le batteur installe le groove aux baguettes. La contrebasse le rejoint. « We gonna make it funky right now » comme dit Maceo Parker. Les claviers entrent dans la danse. La trompinette survole cette masse sonore.Au tour du Fender de déployer ses ailes. Basse et batterie ne perdent pas le groove d’un poil. Médo prend son bugle. Il joue face à son batteur comme Miles. Là ça groove vraiment. Médo scatte. Le groupe lui obéit d’un geste. Le rythme ralentit avec le scat. Exemple du scat à la Médo: « Auscultation cardiaque ».

Petites notes répétitives des claviers. . Le batteur est aux balais. Retour à la douceur. Son avec pédale wah wah sur la trompinette. Une berceuse funky. Solo de Fender tout en douceur, légèrement planant. Le piano vient reprendre derrière, romantique à souhait. Médo chantonne. Ca plane pour nous. Philippe Gleize prouve qu’il ne sait pas seulement frapper aux balais. Il sait aussi malaxer aux balais. Médo joue de la main droite en tenant la partition de la main gauche. Curieux personnage décidément. La musique serpente, ondule, s’envole. « C’est beau, non ? » demande Médéric. Oui ça l’est. C’était « Conda » que Médéric a rebaptisé « Anaconda » dans cet arrangement.

Arrangement sur « Agharta » (concert de Miles Davis à Tokyo en février 1975) et « Turnaround »(in phase) qui lui date de 1973 (Miles Davis à l’Olympia, Paris). Contrebasse et batterie commencent à poser le rythme. Médéric souffle dans une bouteille en plastique (Les Head Hunters d’Herbie Hancock soufflaient dans des bouteilles de bière). Il reprend la trompinette pour un morceau bien funky, un morceau au groove bondissant qui s’écoute ou se danse. J’adore ce truc. Ca sonne comme des trampolineurs légers, aériens, bondissant et dansant dans l’air. Le Saint Groove est bien préservé dans les mains de ces jeunes gens. Le piano attaque. Le Fender contreattaque. Contrebasse et batterie tiennent le rythme.Le batteur, par un break, relance sur un beat plus rapide, plus nerveux. C’est le même air mais plus vif, plus tranchant. Médo vocalise, scatte comme il est le seul à savoir le faire. Il reprend la partie de trompinette en plus vif, plus fou, plus fort. Ca sent l’assaut final. Ils donnent tout. Médéric est le feu du groupe mais, derrière lui, personne ne s’en laisse compter, pas même le piano. Reprise de la trompette qui tranche dans le vif, à la Miles. Plusieurs spectateurs dodelinent du chef. C’est dansable mais il n’y a pas la place et personne n’oserait.

Je suis parti alors que le dernier morceau commençait. Il était 0h15 et j’avais école le lendemain. Ce groupe est toujours stupéfiant sur scène mais j’attends que Médéric passe à l’étape suivante et crée son propre répertoire, passant d’interprète à compositeur. Le veut-il ? Le peut-il ? Le temps nous le dira.

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J
<br /> C'était donc juste un jeu de mot avec son nom. Je ne sais pas s'il va Lagréer…<br /> Les artistes sont susceptibles. Et lui particulièrement costaud !<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Merci pour « les grands esprits ». Je vous trouve tout de même très dur avec Philippe Gleizes qui me semble un très honnête bûcheron. En plus, vous avez vu comme il est taillé ?-)<br /> Quant à Médéric, apparemment il commence à composer pour le Théâtre (en ce moment même à Grenoble) et à l'écoute, sur son dernier album (Shangri-Tunkashi-La, à sortir fin février) de ses inventions<br /> sonores sur des thèmes célèbres (Early Minor, It's About That Time, Mademoiselle Mabry et même Kashmir) on ne peut douter une seconde de ses capacités en tant que compositeur. Ce type est un Mozart<br /> en puissance et le meilleur est à venir s'il ménage ses forces !<br /> <br /> <br />
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G
<br /> Je suis plus dur avec les cracks qu'avec les médiocres car j'en attends forcément plus encore.<br /> Ces gars là sont des cracks, il n'y a pas de doute là dessus.<br /> <br /> <br />
B
<br /> Excellent rendu. Pas pu venir au Sun en raison d'engagements antérieurs, cependant je mets volontiers mes oreilles en agge que Médéric est en passe de venir un des plus grand jazzmen français de<br /> tous les temps.<br /> <br /> <br />
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G
<br /> Un des plus grands interprètes assurément.<br /> Passera t-il au rôle de compositeur?<br /> <br /> <br />
J
<br /> Bravo pour votre article.<br /> C'est marrant, j'y étais les 8 et 9 et j'ai eu à peu près les mêmes sensations.<br /> J'ai pondu ce compte-rendu cette nuit, sans avoir eu connaissance de votre article.<br /> Bien cordialement.<br /> http://www.facebook.com/album.php?aid=51568&id=1158348888<br /> <br /> <br />
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G
<br /> Cela prouve que les grands esprits se rencontrent.<br /> <br /> <br /> Chordially ( Charles Mingus)<br /> <br /> <br />