Premier concert du Trio de Dred Scott à Paris

Publié le par Guillaume Lagrée

Paris. Le Sunside. Lundi 17 mai 2010. 21h30.

Dred Scott Trio.

 

Dred Scott : piano

Ben Rubin : contrebasse

Tony Mason: batterie

 

Belle attaque. Beau swing. Je bats la mesure tout de suite. C’est bon signe. C’est frais, clair, énergique. C’est le premier concert de ce trio à Paris. Lundi soir, ce n’est pas la bonne date. Ils s’en moquent, ils jouent. La batterie est métronomique mais pas lassante. Impulsion de la contrebasse. Le piano tourne comme une belle toupie. Ca donne du plaisir. Ils nous emmènent dans leur monde et nous ne sommes pas déçus du voyage. Fin avec une note prolongée par la pédale de droite sans les mains. Pas mal…

 

Une ballade. Intro au piano. Pour l’instant, ils jouent des compositions personnelles. Il y a des réminiscences de Martial Solal dans le démarrage du trio. Cela ne peut que me réjouir. Le batteur est en cuisine, aux balais, fouettant la sauce. Ca s’anime gracieusement. Le batteur est repassé aux baguettes. Autre similitude avec le jeu en trio de Martial Solal, ce n’est pas l’habituel défilé thème/solo/thème. Ca joue vraiment à trois en même temps. Le pianiste est bien le chef mais les deux autres ont leur mot à dire. Au tour du bassiste d’être le Boss. Pianiste et batteur dialoguent avec lui, jouant en arrière plan. Personne n’applaudit. Ce n’est pas un solo démonstratif, c’est une prise de parole. A chacun son tour. On applaudit l’ensemble. Dred Scott aime finir le morceau avec la pédale. C’était « Time for the hot stuff », expression idiomatique américaine qui signifie « le moment de boire des alcools forts ».

 

« Don’t fear the ripper ». Dred Scott teste son français. Il reviendra à Paris ce qui lui permettra de progresser. Ca sonne comme une chanson populaire (pop song in english). J’entends une voix de femme chanter dessus. Ca vous entraîne bien loin de Paris. Ca respire au large, les grands espaces américains, la forêt. Un petit intermède et ça repart plus brutal, plus inquiétant. Il y a un esprit rock’n roll, dans le bon sens du terme, chez ce trio. Retour au thème de chanson américaine juste le temps de passer à autre chose. L’humour de Dred Scott me fait aussi penser à Martial Solal.

 

Une ballade « Regrets ». Tout le monde a des regrets, n’est ce pas ? (Dred Scott). Alain Souchon en a fait une jolie chanson. Le batteur masse ses tambours avec ses balais. Le contrebassiste impulse doucement. Les doigts du pianiste semblent tituber, hésiter sur le clavier mais tout cela est maîtrisé pour exprimer les regrets.

 

« Mojo rhythm » écrit pour un enfant de deux ans nommé Mojo Rhythm Davis. Pas facile à porter ! Morceau très énergique, haché. C’est assez loin du « Mojo working » de Muddy Waters quoique… Le mojo est un grigri, un héritage des cultes africains chez les Noirs américains. C’est une œuvre explosive, pleine de bombes qui éclatent pacifiquement. Le jeu du piano est extrêmement libre mais il y a toujours une assise rythmique derrière comme dans le Free Jazz d’Ornette Coleman d’ailleurs. Autre point commun avec Martial Solal : Dred Scott joue sur le clavier et uniquement sur le clavier du piano. Solo bien énervé avec des influences du classique. C’est la charge de la cavalerie légère mais plutôt du côté des Indiens. Dred enlève sa veste à la fin du morceau. Il est bien échauffé.

 

« Press Play ». « Pousser Jouer » ça rime en français note Dred. Ca commence tranquillement mais avec des pauses, des virages surprenants. Un couple âgé vient d’arriver. La dame n’a pas apprécié la fin du précédent morceau. Avant le début de celui-ci, elle a dit : «  Je crains le pire ». Elle écoute en faisant la moue. Pendant ce temps là, le trio nous berce et nous réveille tour à tour. Ces trois là sont très à l’écoute. Le mari applaudit un peu. Pas l’épouse.

 

« Well you might » variation sur « Well you needn’t » de TS Monk. Un blues rapide. Il y a des rappels de la mélodie de Monk mais transformée, dilatée, accélérée, sévèrement secouée. La dame désapprouve toujours. Jusqu’à quand tiendra t-elle ? Des crabes fous courent sur le piano. Ce sont les doigts de Dred Scott. Breaks de batterie et non pas solo. C’est une solution préférable pour relancer la machine sans la casser. La dame n’est toujours pas d’accord avec les musiciens. Elle a dû applaudir deux fois.

 

« Casa de luz » (Shorty Rogers). Hommage à la West Coast car Dred Scott est originaire de San Francisco. Il y a en effet cette « Spanish tinge » chère à Jelly Roll Morton. C’est joyeux, lumineux. Ca swingue très agréablement. Le jeu est plus classique, West Coast. C’est une musique peu jouée aujourd’hui alors qu’il y a tant de clones du bebop et du hardbop. Merci à Dred Scott et son trio de nous rafraîchir la mémoire. Au batteur de mener la danse, bien poussé par les deux autres. La dame applaudit un petit peu.

 

Enchaînement sur un vieux standard. Ca pète et ça brille. Défi entre pianiste et batteur avec le contrebassiste pour arbitre. Après la présentation des musiciens, retour à un swing plus calme pour conclure.

 

PAUSE

 

Le couple de mécontents aux cheveux blancs est parti. C’est le premier concert de Dred Scott à Paris. Ca m’étonnerait fort de les revoir au deuxième.

 

Démarrage au piano sur une ballade. « Dansez sur moi » chantait Claude Nougaro sur « Girl talk » de Neal Hefti. Ca se ballade tranquillement. Le morceau est dédié aux deux personnes qui sont parties après le premier set parce que le batteur jouait trop fort. Vous avez deviné de qui il parlait, n’est ce pas ?

 

Swing plus puissant, en vagues. Le batteur hache fin. Le contrebassiste reste tranquille. Le pianiste démarre, accélère sans forcer. Ca swingue méchamment comme le chantait Claude Nougaro. Ca fait du bien par où ça passe.

 

Dred parle moins, n’annonce plus les morceaux. Une ballade. Le batteur frotte aux palais. Les notes sont distillées. C’est agréable mais ces musiciens sont plus surprenants, plus créatif, plus à leur aise sur tempo rapide. Ne boudons pas notre plaisir. Sur tempo lent, ils caressent bien les tympans. C’était «  Bobo », un hommage à Paris certainement. En tout cas, c’était délicieux, tout simplement délicieux.

 

« Doggy and Cookie ». Etes-vous un chien qui veut manger le biscuit ou un biscuit qui veut être mangé par le chien ? Telle est la philosophie de la vie de Dred Scott. Le morceau est bien agité au départ. C’est bien le chien qui court après le biscuit ; Le solo de contrebasse est assez agité lui aussi. Le batteur prépare les biscuits en malaxant les cymbales. Très beau solo à la fois rêveur et énergique.

 

Il est 0h05 et je dois aller à l’école demain matin pour 9h. Je m’en vais donc avant la fin du concert. Irai-je jusqu’à New York ou attendrai je leur retour à Paris pour écouter à nouveau le Dred Scott Trio en concert ? En tout cas, au loin ou au près, ce groupe mérite le voyage. Swing, blues, énergie, esprit rock’n roll, compositions, standards connus ou méconnus, la carte est variée. Il y a de quoi satisfaire tous les goûts sauf si vous avez peur d’être attrapé, secoué, surpris comme le couple de mécontents aux cheveux blancs.

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