Rêve d'Afrique: Barney Wilen " Moshi "
" Moshi "
Saravah. 1972.
Barney Wilen: saxophone ténor, composition
Michel Graillier: piano électrique
Pierre Chaze: guitare électrique
Simon Boissezon: basse
Christian Tritsh: basse
Didier Léon: luth
Micheline Pelzer: batterie
Caroline de Bendern: voix, composition
Babeth Lamy: voix
Laurence Apithi: voix
Marva Beroom: voix
Extraits de Moshi et de Moshi Too diffusés dans mon émission de novembre 2019 Le Jars jase Jazz sur Couleurs Jazz Radio le vendredi et le dimanche à 1h du matin et 18h (heure de Paris). Pas de podcast. Thème de l'émission: L'Afrique, c'est chic! L'Afrique rêvée et vécue par les Jazzmen.
" Pour aller de Paris à Dakar, il faudrait toute une vie " (Théodore Monod). Barney Wilen (1937-1996), lui, prit deux ans de 1969 à 1970. Peut-être ce goût de l'Afrique lui vint-il de sa participation aux Jazz Messengers d'Art Blakey pour la musique du film de Roger Vadim " Les liaisons dangereuses " (1959 avec Boris Vian comme acteur). En tout cas, dans son album " Jazz sur Seine " (1959), Barney avait ajouté aux trois Américains du Modern Jazz Quartet sans John Lewis (Milt Jackson le remplaçant au pîano, Percy Heath à la contrebasse, Kenny Clarke à la batterie), le percussionniste sénégalais Gana M'Bow sur deux morceaux. Barney était parti pour Zanzibar en compagnie d'une troupe de musiciens, cinéastes d'une quinzaine de personnes dont sa muse et compagne d'alors, Caroline de Bendern. Le but était donc de traverser l'Afrique d'Ouest en Est. En fait, ils la parcoururent du Nord au Sud s'arrêtant au Maroc, en Algérie, au Niger, au Mali, en Haute Volta (aujourd'hui, Burkina Faso) pour finir au Sénégal. Le parcours est décrit dans la superbe pochette de l'album par Caroline de Bendern. Barney n'a pas voulu qu'elle signe. Orgueil masculin?
Le monde entier connaît le visage de Caroline de Bendern, la Marianne de Mai 68. Petite fille d'un Lord anglais milliardaire, mannequin de mode, âgée de 23 ans, elle participe à l'euphorie des journées de Mai 68 à Paris. Le 13 mai, elle est fatiguée de marcher, le graphiste Jean-Jacques Levet la hisse sur ses épaules. Elle refuse le drapeau rouge, brandit le drapeau du Vietnam (les négociations pour la paix au Vietnam se déroulaient alors à Paris). Un photographe de presse, Jean-Pierre Rey, la prend en photographie. Elle devient l'icône de Mai 68, la photographie fait le tour du monde. Quelques jours plus tard, son grand-père millionnaire, retiré dans une villa de Biarritz, la découvre en une de Paris Match. Furieux, il la déshérite. 50 millions de nouveaux francs français envolés. Les agences de mannequin américaines la mettent sur une liste noire. Une égérie révolutionnaire sur les podiums, vous n'y pensez pas, cher(e) ami(e)? Commence pour elle une nouvelle vie plus pauvre en argent, plus riche en aventures. Dont celle en Afrique avec Barney Wilen.
Au gré des rencontres, du voyage, des incidents de parcours (il n'y avait pas encore de terroristes islamistes dans le Sahara mais il y avait des guerres au Tchad et au Nigeria), ils enregistrent des musiques, des sons. Certains membres de la troupe rentrent en France, d'autres se convertissent à l'Islam et restent sur place vivre leur foi. La compagnie Zanzibar, financée par une riche héritière aux opinions d'extrême-gauche, Sylvina Boissonas, (c'était la mode à l'époque) finit par couper les vivres. Zanzibar, c"était un hommage à Arthur Rimbaud, autre chercheur d'Afrique. Arrivés à Dakar, il fallut rentrer en France mais en bateau. Caroline de Bendern sortit un film en 1971 " A l'attention de Mademoiselle issoufou à Blima " produit par elle même. Ce film a pour bande musicale des extraits de l'album " Moshi ".
Rentrés à Paris, Barney et Caroline disposant d'heures d'enregistrement sonore et visuel, entrent en studio avec des jeunes musiciens français dont le pianiste Michel Graillier qui épousa ensuite la batteuse qu'il rencontra alors, Micheline Pelzer. Le résultat donne une Afrique psychédélique, un album entre documentaire (prière du marabout, aboiements du chien) et Afro Beat comme ce " Zombizar " hommage à l'île de Zanzibar où ils n'arrivèrent jamais. A moins que ce ne soit un clin d'oeil à la compagnie cinématographique qui avait financé l'aventure. Saravah fondée en 1966 par Pierre Barouh avec l'argent gagné grâce au triomphe inespéré d'Un homme et une femme de Claude Lelouch et dont la devise, empruntée à Salvador Dali, est " Il est des années où on n'a envie de ne rien faire " est l'éditeur musical idéal pour cet double album hors normes. Barney et Caroline n'ont pas enregistré la musique pygmée (leur but d'origine) mais avec tout ce qu'ils ont collecté, ils ont collé, bricolé, composé, décomposé, recomposé, joué, chanté, une Afrique vécue et rêvée
Je me souviens encore de la stupéfaction de mon ami Burkinabé Monsieur B. lorsque je lui fis découvrir cette musique. Entendre sur un album enregistré à Paris en 1972 par un saxophoniste de Jazz blanc franco américain, de la musique mandingue, de Bobo Dioulasso, sa ville, une musique qui sert notamment à chanter les louanges de sa famille ( Monsieur B est issue d'une famille riche, puissante, ancienne, respectée dont les griots chantent la gloire), ce fut pour lui un choc mémorable. Un choc joyeux, bien sûr.
Le contexte de cet album est si riche que je vais continuer à l'explorer. A comparer avec la version remixée, quarnate ans plus tard, à partir des bandes originales découvertes par Patrick Wilen, le fils de Barney, photgraphe de mode, " Moshi Too ".