Daniel Humair raconte son Martial Solal

Publié le par Guillaume Lagrée

Daniel Humair par Juan Carlos HERNANDEZ

Daniel Humair par Juan Carlos HERNANDEZ

Lectrices vénérées, lecteurs vénérables, fidèles abonnés au Jazz et à l'Electricité, ce blog vous a récemment chanté la mémoire du pianiste, compositeur, chef d'orchestre, arrangeur français Martial Solal (1927 - 2024) et livré les témoignages de 3 pianistes (Manuel Rocheman, Eric Ferrand N'Kaoua & Dan Tepfer) sur son influence.

Il est désormais temps de vous livrer les souvenirs d'un compagnon de route au long cours, le batteur & peintre Daniel Humair (1938).

Dans les trios piano, contrebasse, batterie de Martial Solal , au XXe siècle, le batteur était, sauf exception, Daniel Humair. Le trio Martial Solal, Guy Pedersen / Pierre Michelot, Daniel Humair, est, à mes oreilles, le plus innovant des années 50 - 60. Même avec Bill Evans ou Ahmad Jamal, vous avez toujours un Maître (le pianiste) et 2 serviteurs (le contrebassiste et le batteur). Avec le trio de Martial Solal, vous avez 3 Maîtres, libres et égaux, qui discutent en musique en permanence, créant un climat sonore inouï jusque alors. 

Voici les souvenirs de Daniel Humair sur Martial Solal recueillis au téléphone par votre serviteur, le jeudi 9 janvier 2025. Merci Daniel.

J’écoutais récemment des enregistrements de Martial Solal en 1957, avant que je ne commence avec lui. Je me suis aperçu qu’il jouait un jazz extraordinaire, d’une modernité à tomber par terre. A l’époque, aucun pianiste ne lui arrivait aux chevilles. Mais il était Blanc, Français et, en Jazz, nous sommes toujours redevables aux Américains, les créateurs de cette musique.

Récemment encore, un type m’a dit que je jouais des trucs comme Brian Blade et que c’était formidable. Je lui ai répondu que je jouais déjà ces trucs-là alors que les parents de Brian Blade n’étaient pas nés. Nous avons tous les mêmes sources. Nous sommes tous partis de Louis Armstrong, du Be Bop. Martial possédait tout cela et il jouait d’une manière intouchable.

Je l’ai rencontré à Paris lorsque je jouais pour Barney Wilen avec René Urtreger & Luis Fuentes (trombone). Il m’a écouté puis recruté. Nous avons joué ensemble des années au Club Saint Germain.

Martial Solal eut une influence majeure sur moi. Il m’a libéré du rôle d’accompagnateur. Je n’avais plus à marquer le tempo avec le bassiste derrière le pianiste. Nous faisions de la musique à trois, Martial Solal, Guy Pedersen ou Pierre Michelot et moi. Nous arrangions trois sons, trois textures. Liberté, création, écoute, c’est ce qui m’intéresse dans le Jazz. C’est ce que j’ai appris de lui et c’est ce qui m’intéresse toujours.

Nous nous sommes éloignés car Martial voulait écrire, arranger de plus en plus. Ca manquait de swing, de vie, de chaleur et ça ne m’intéressait plus.

Le trio Martial Solal, Guy Pedersen & Daniel Humair tournait depuis des années quand Martial est parti seul aux Etats Unis d’Amérique en 1963 car il était le seul à avoir obtenu un permis de travail. Son départ en solo nous a beaucoup blessé Guy et moi.

Il a joué au Newport Jazz Festival, édition 1963, avec la rythmique de Bill Evans (Teddy ,Kotick & Paul Motian) mais ça ne collait pas. Martial ne pouvait pas avoir le son de son trio sans ses deux autres membres. Martial est revenu en France et le trio a de nouveau sonné terrible au festival international de jazz d’Antibes-Juan-les-Pins, édition 1964. Cf vidéo sous cet article.

Je suis parti car j’en avais marre d’être sous contrôle pour des histoires de son. J’ai rencontré Joachim Kühn, Jean-Luc Ponty, Henri Texier, François Jeanneau pour échanger plus de chaleur dans cette amitié musicale. Martial n’était pas convivial. Il m’a invité à dîner une fois en 40 ans. Il était un peu bourgeois, un peu solitaire, pas vraiment membre de la famille du Jazz mais bourré de génie musical.

Je recommande trois albums où je joue:

Tels sont les souvenirs immédiats de Daniel Humair lorsque je lui ai demandé de parler de Martial Solal.

Après relecture et correction de ses propos précédents, j'ai posé deux questions complémentaires à Daniel Humair. Voici ses réponses.

Propos du mardi 28 janvier 2025. Merci encore Daniel.

Deux questions que je ne vous ai pas posé lors de notre premier entretien. Sur le trio Solal, Pedersen ou Michelot, Humair au Club Saint Germain.

 

D’abord, comment se répartissait le rôle de batteur du trio avec Kenny Clarke ?

Quand je suis arrivé à Paris, Kenny Clarke était le Roi, un des pères du Be Bop. Je ne lui ai pas porté révérence. Il n’y a pas eu d’amitié entre nous comme je l’ai eu avec Elvin Jones et Philly Joe Jones. J’appréciais la musique de Kenny Clarke mais ce n’était pas mon chemin. Finalement, Martial Solal a peu joué avec Kenny Clarke.

 

Ensuite, comment cela se passait avec les vedettes américaines qui venaient faire le bœuf ?

Au Club Saint Germain, nous jouions en trio ou en quartette avec Roger Guérin (trompette). Assez peu avec les vedettes américaines. A part deux qui nous appréciaient beaucoup, Lucky Thompson & Lee Konitz.

En guise de conclusion, je recommande deux autres albums avec Martial Solal, Daniel Humair & Lee Konitz:

- European EpisodeImpressive Rome enregistrés en studio à Rome en 1968 (Henri Texier à la contrebasse)

- Jazz à Juan enregistré en concert au festival de Jazz d'Antibes-Juan-les-Pins, édition 1974 (NHOP  à la contrebasse).

Martial Solal par Juan Carlos HERNANDEZ

Martial Solal par Juan Carlos HERNANDEZ

Les photographies de Daniel Humair & Martial Solal sont l'oeuvre du Suisse de Genève Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de ces oeuvres sans l'autorisation de leur auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales.

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