Olivier Calmel ou l'art de se faire un prénom
Interview d’Olivier Calmel, compositeur et pianiste.
Paris le mercredi 6 janvier 2010.
Question :
Obélix est tombé dans la marmite de potion magique étant petit. Toi tu baignes dans la musique depuis ta conception (père compositeur, mère organiste). Pas trop lourd le poids de l’hérédité ?
Réponse :
Souvent je me demande ce que mon père aurait pensé de ce que je fais. C’est une récompense d’arriver à imaginer qu’il aurait peut être trouvé des éléments intéressants dans ma démarche et mon travail. J’ai eu des signes prometteurs avant sa disparition, mais c’était à la fois quelqu’un de très chaleureux, très direct, et très réservé aussi. Etre né dans une famille de musiciens n’est évidemment pas une règle pour devenir musicien professionnel. Tout au plus c’est une aide, une petite facilité de début. Ca aide à former l’oreille et à acquérir des techniques plus tôt, plus jeune. Mes parents m’ont donné toutes les clés dont j’avais besoin pour me construire, et ces clés continuent bien sur de me guider, mais ils ne m’ont jamais poussé à faire de la musique.
Q :
Es tu un musicien ou un compositeur ? De Jazz ou de musique contemporaine ?
R :
Je ne suis pas un compositeur de musique contemporaine au sens où on l’entend habituellement. Mais je suis un contemporain par définition. Ma démarche s’oriente vers le développement d’un langage à la fois accessible, dynamique, contrasté, et résolument contemporain ; c’est à dire véritablement d’aujourd’hui, avec ce que cela comporte de passerelles et de clins d’oeil. Je suis plus compositeur que pianiste même j’ai de nombreux engagements en tant que pianiste.
Cette semaine j’enregistre un album comme sideman. La semaine d’après je joue un répertoire de musique de film au Petit Journal Montparnasse avec 18 musiciens. D’ailleurs, dans la musique de film, tout est écrit et cela peut être compliqué à jouer contrairement aux idées reçues. Par exemple, la partie de piano dans la musique d’ET (Williams) est d’une grande difficulté (déplacements improbables notamment) ! Au final, je me sens certainement plus valorisé comme compositeur, mais j’aime également la scène, l’interaction avec le public et les autres musiciens, la dynamique de l’improvisation.
Q :
Outre ton père, Roger Calmel, quelles sont tes influences musicales ?
R :
Je suis surtout influencé par les compositeurs français du début du XX° siècle : Saint-Saens, Debussy, Ravel, Dukas, le Groupe des Six. Et puis Stravinsky, Bartok. Je suis un fan de Bartok ! J’ai tous ses albums, je vais à tous ses concerts
!!

Je n’oublie pas Bach, Messiaen, Penderecki, Reich, Adams, Herrmann, Williams, dans un désordre absolu ..
Pour faire la fusion entre culture Jazz et culture classique, l’approche est nécessairement rythmique, verticale et donc contrapuntique. C’est plus naturel que l’approche harmonique pour réaliser des approches stylistiques éloignées. Des successions d’accords donnent un contexte, un cadre très précis, parfois même très rigide. Le contrepoint donne des cadres moins fermés. C’est une approche mélodique et rythmique qui permet plus facilement de passer d’un univers à un autre.
Dans le Jazz, mon influence majeure c’est Wayne Shorter, compositeur et interprète qu’on voit encore grandir aujourd’hui. Et évidemment Duke Ellington. « Wayne Shorter est le plus grand compositeur de Jazz depuis la mort de Duke Ellington » (Stan Getz).
Dans les pianistes, Keith Jarrett, Bill Evans, Wynton Kelly, Kenny Kirkland, Herbie Hancock, Chick Corea, Bud Powell. Et chez les Français actuels, Stéphane Oliva, Bojan Z. Chez les compositeurs, Henri Texier est un mélodiste génial, dont la musique est apparemment simple et d’une grande puissance émotionnelle. Et Julien Lourau : je trouve une évidence, une force dans sa musique. J’écoute aussi beaucoup Médéric Collignon qui est un vrai monstre, un grand musicien !
Q :
Pour un musicien comme toi qui a un vrai bagage savant en musique, quelle est la part entre la composition et l’improvisation dans ton jeu ?
R :
Tout dépend du contexte. Plus on est nombreux sur scène, plus il faut organiser, plus c’est écrit. Dans un solo de piano, il y a beaucoup d’improvisation. Dans un passage tutti où la thématique est plus importante, c’est beaucoup plus écrit. Le travail de la forme est important pour éviter le sempiternel thème/solo/thème. C’est donc plus écrit car les structures sont complexes, alambiquées, à tiroirs, à options…. Il y a donc entre 40% et 80% d’improvisation dans mon jeu selon le contexte, si les chiffres sont vraiment indispensables...
Q :
Comment te situes tu sur la scène musicale française ?
R :
Je suis proche de tous les projets de moyenne taille où la part d’écriture est plus importante. Il y en a de plus en plus. Il y a une prise de conscience chez les jeunes leaders qu’il faut remettre en cause la part entre l’improvisation et la composition. Dans les grands noms j’ai par exemple beaucoup apprécié le projet « Third String » d’Emmanuel Bex avec Johan Renard au violon et Jean Philippe Feiss au violoncelle. C’est juste magnifique, essentiel. Pour que le Jazz dure, il faut qu’il devienne une musique écrite ne cesse de répéter Martial Solal depuis sa « Sonate n°1 en ré bémol pour quintette de Jazz » (1959). C’est vrai et cela se vérifie par la pratique. Le Jazz peut parfois ennuyer le public parce qu’ils n’ont pas envie de voir un type se b… pendant une demi heure sur un solo.
Le Jazz, musique de mutation par essence, ne cesse d’évoluer. Je crois qu’il y a aussi une volonté de redonner à ces musiques sa valeur dansante, revenir à des choses simples et essentielles, faire évoluer la forme. Aujourd’hui, il y a une volonté de faire évoluer la forme, d’oser sur les nomenclatures, d’intéresser le public, de s’adresser à lui. La musique est et restera un langage, celui du coeur. On écrit la musique que personne ne joue. Les standards d’aujourd’hui c’est la Pop.
Q :
Après le violon alto, le violoncelle, à quand le violon dans ton groupe ?
R :
Bientôt, si Dieu veut .. après Xavier Phillips, je ne désespère pas d’arriver à faire venir son frère, Jean-Marc, grand soliste, à un de mes concerts .
Q :
Quelle part entre l’électrique et l’acoustique dans ton jeu ?
R :
Les sons électro dans mon dernier album « Electro Couac » c’est un clin d’œil. Ce n’est pas de l’électro Jazz. Je joue acoustique pour l’essentiel. Dans le groupe « Why Cie » je joue du Fender. Mais c’est de l’électrique, pas de l’électro....
Q :
Quels sont tes projets pour 2010 entre le travail de compositeur et celui d’interprète ?
R :
En 2010, je dois d’abord finir de composer un quatuor de clarinettes pour les Anches Hantées dans le cadre d’un projet 'Bande Dessinée' basé sur l'univers de Philippe Gelück et de son oeuvre du « Chat ».
Je dois également accompagner les orchestres qui vont jouer la pièce Eau vive, créée en 2009, en hommage à l’ONG éponyme. Cette œuvre sera rejouée plusieurs fois cette année dans le cadre des concours CMF (Confédération Musicale de France) car elle fait partie des oeuvres imposées pour les Orchestres d'Harmonie aux concours nationaux 2010 en division Honneur.
En février 2010 aura lieu la création de « Caravan Gazelle » par le quintette à vent Arte Combo , un magnifique conte musical sur un texte de Florence Prieur.
Un autre conte musical « Zéphir » écrit par Olivier Cohen et interprété par Le duo Links ( piano et percussion) sera également créé dans l’année.
J’ai également une commande pour Brass band, (nomenclature de cuivres et de percussions), et une autre pour orchestre symphonique pour la rentrée de septembre.
Enfin je compose actuellement plusieurs musiques de films: un moyen métrage, un documentaire et deux courts métrages. J’ai des demandes pour des publicités.
J’enregistrerai la semaine prochaine à Paris comme sideman au piano. Je donnerai un concert de musique de film à Paris, au Petit Journal Montparnasse, le mercredi 27 janvier 2010.
Je travaille dans le projet du flûtiste et chanteur Yann Cléry, la « Why Cie », projet avec lequel nous sommes en promotion du premier album.
Bien évidemment j’ai des projets avec mon quintette de jazz, formation avec laquelle je viens de sortir mon nouveau disque « ElectroCouac », et avec Xavier Philips. Pour finir, je monte une nouvelle formation de jazz avec guitare, percussions, violoncelle, claviers. Tous sont compositeurs. Le projet est basé sur un scénario, écrit par un auteur très talentueux, et sur des travaux liés à la musique de film, joués par des instrumentistes polyvalents et improvisateurs.
Q :
Qu’écoutes tu actuellement ?
R :
J’écoute Krisztof Penderecki, Bela Bartok, Edgar Varese, Charlie Haden, Jacques Higelin, Arthur H, Brigitte Fontaine .. et tant d’autres.
Nous ne sommes pas assez conscients de nos ressources, de nos réserves intellectuelles inépuisables, de notre capacité à créer, imaginer.
Parfois j’ai l’impression d’être au bout du rouleau et pourtant j’arrive au bout de mes projets en temps et en heure.
C’est un peu ça, le bonheur, non ?
Une version plus élégante de cette entrevue est disponible, avec photographie d'Olivier Calmel, dans la rubrique Jazz Club de l'édition de janvier 2010 du magazine Best Seller Consulting News, page 76 et suivantes.