Rêve d'Afrique: Art Blakey and the Afro-Drum Ensemble " The African Beat "

Publié le par Guillaume Lagrée

 

Art Blakey and The Afro-Drum Ensemble

" The African Beat "

Blue Note. 1962.

 

Le Jazz est né en Amérique du Nord du choc frontal entre Européens venus de leur plein gré et Africains déportés. Les Noirs perdirent leurs noms africains au profit de ceux de leurs maîtres Blancs. Ils perdirent aussi leur culture, leur musique puisque l'usage des tambours fut interdit en Amérique du Nord car ils servaient à appeler à la révolte. C'est ainsi que les Noirs américains inventèrent la batterie alors qu'aux Antilles, en Amérique du Sud ils continuèrent à jouer leurs instruments de percussion traditionnels.

Lorsque vous vous appelez " Arthur Noiraud " (Art Blakey), que votre peau est noire sombre, vous ne pouvez oublier que vous êtes Noir. Lorsque vous avez la personnalité d'Art Blakey (1919-1990), surnommé le Volcan par son collègue batteur Louie Bellson, vous faites tout pour que personne n'oublie que vous êtes Noir et que vous en êtes fier. Avec Kenny Clarke et Max Roach, Art Blakey est un des trois Pères fondateurs de la batterie Be Bop dans les années 1940. Son groupe, les Jazz Messengers fut une pépinière de talents pendant 40 ans. Dans ce rôle, seul Miles Davis lui est supérieur et encore. Wayne Shorter et Keith Jarrett jouèrent chez Art Blakey avant de jouer chez Miles. Art Blakey fut aussi le batteur préféré de Thelonious Sphere Monk. Le batteur des London Sessions en 1971, le dernier enregistrement du Prophète, c'est lui.

Comme son ami Dizzy Gillespie, Art Blakey a voulu, dès les années 1940, revenir à ses racines africaines, voyageant aux Antilles puis en Afrique de l'Ouest pour apprendre les rythmes africains à leur source. Il est le premier batteur américain à avoir inclus sciemment les rythmes africains à son jeu même si la batterie traditionnelle néo orléanaise comporte elle aussi des figures rythmiques africaines. Dans les années 1950, son groupe  Orgy in rhythm, avec des percussionnistes jamaïcains, cubains, porto ricains chauffait déjà très dur. Ce style de percussions ressemble à des rythmes congolais (la conga n'est elle pas le grand tambour cubain?) comme me l'a confirmé un ami congolais (du Congo Brazzaville) il y a déjà longtemps.

En 1962, avec son Afro drum ensemble, Art Blakey passe à la vitesse supérieure. Il supprime le piano, ne garde que la contrebasse mais jouée par Ahmed Abdul Malik, accompagnateur de Thelonious Monk mais surtout d'origine soudanaise donc africaine et le saxophone ténor, le hautbois, la flûte joués par Yusef Lateef, musicien noir américain, converti à l'Islam comme Art Blakey d'ailleurs (Ahbdullah Ibn Buhaina était son nom choisi) et lui aussi désireux de se ressourcer en Afrique. Autour de ces trois musiciens nord américains, des percussionnistes antillais, africains dont le Nigérian Salomon G. Ilori qui ouvre la séance par une prière en yoruba (cf. vidéo sous cet article).

Si, comme moi, vous avez un ami parlant yoruba (le mien vient du Bénin) il vous traduira cette prière. Si vous ne parlez pas yoruba, ne connaissez personne parlant cette langue, cela ne vous empêchera pas de profiter de la musique qui suit.

Ce qui caractérise cet album, c'est la Puissance. Une virilité assumée, une joie de jouer, une polyrythmie étourdissante. Une musique qui vous décolle du sol. Quand Yused Lateef fait grogner son saxophone ténor dans un style rollinsien poussé par une telle rythmique, il y a de quoi entrer en transe comme lui. Cette musique est une excellente introduction au Jazz pour des Africains ou des Antillais. Je l'ai vérifié avec un Congolais, un Burkinabé, un Béninois, un Guadeloupéen. A chaque fois, la même joie, la même stupéfaction. Pour des Européens, blancs de peau comme moi, c'est une excellente introduction à la musique africaine, d'Afrique de l'Ouest, celle de la Côte des esclaves d'où vinrent la plupart des Africains déportés en Amérique.

Surtout, il s'agit d'une musique de métissage, l'essence même du Jazz. Les musiciens viennent de divers pays, continents, cultures et ils ne sont pas tous Noirs. 

L'importance de cet album est immense. C'est un acte fondateur de ce que l'industrie du spectacle appelle aujourd'hui " world music ". C'est la première fois que des musiciens noirs africains et américains enregistrent ensemble. De plus, c'est un chef d'oeuvre. Un chef d'oeuvre si marquant que lorsque le Nigérian King Sunny Ade créa son premier groupe en 1967, il l'appela " The African Beat ".

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M
Bonsoir ,<br /> <br /> Article très intéressant , je le relirai certainement .
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G
<br /> <br /> Merci du compliment Michel.<br /> <br /> <br /> Ecoutez la musique, surtout.<br /> <br /> <br /> C'est le but de l'article.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />