Lectrices Cool, lecteurs Jazz, je partage votre chagrin à l'annonce du décès d'un Géant du Jazz, le saxophoniste alto Lee Konitz (1927 - 2020). Un deuxième Géant du saxophone victime du COVID 19 après Manu Dibango.
Je rassemblerai ici mes articles et souvenirs sur ce musicien génial qui, selon ses propres termes, avait fait carrière en connaissant 7 morceaux mais en les jouant chaque fois différemment.
Les articles d'abord dans l'ordre chronologique de 2008 à 2015:
- Lee Konitz en concert à Paris en trio avec les Italiens Enrico Pieranunzi (piano) et Riccardo del Fra (contrebasse) en 2008
- Lee Konitz en concert à Paris en duo avec Dan Tepfer (pianiste né en 1982) en 2009
- l'album " Duos with Lee " qui unit Lee Konitz & Dan Tepfer (2011)
- Un autre concert de Lee Konitz en duo avec Dan Tepfer à Paris en 2011
- Lee Konitz en concert privé avec Martial Solal (pianiste né en 1927) à Paris en 2012
- Une Conversation sur l'improvisation entre Lee Konitz et Dan Tepfer (2012)
- Lee Konitz en concert en quartet à Genève en 2014, toujours avec Dan Tepfer
- Lee Konitz en concert privé à Paris avec Martial Solal en 2015
Lee Konitz vivait en Allemagne et aimait venir jouer à Paris. Et puis j'aime la musique de Lee Konitz d'où ces 8 articles sur 8 années.
J'ai d'autres souvenirs de concerts de Lee Konitz, en trio à Paris avec 2 frères américains dont le nom m'échappe (contrebasse et batterie) et surtout un de mes plus beaux souvenirs de concert, Lee Konitz, Steve Swallow (guitare basse électrique), Paul Motian (batterie) dans le dortoir des moines de l'abbaye de l'Epau (72) à l'Europa Jazz Festival, édition 1999. Si vous n'avez pas eu la chance d'écouter ce trio de magiciens sonores sur scène, reportez vous à l'album " Three Guys " (1999).
Lee Konitz figurait dans mon émission de mars 2020, Le Jars Jase Jazz, sur Couleurs Jazz Radio pour le 4e et dernier épisode de mon programme BRASIL avec une version lunaire et hantée d'Insensatez (Antonio Carlos Jobim) en duo avec Gil Evans (piano). Morceau à retrouver sur l'album " Anti Heroes " enregistré en concert à New York en 1980.
Quant aux albums de Lee Konitz à écouter, il y en a tant que mon choix sera évidemment partiel et partial.
J'ai déjà cité " Duos with Lee " (2011) avec Dan Tepfer (piano).
Comme sideman, il faut évidemment mentionner sa participation à " Birth of the Cool " de Miles Davis (1950), un album clef de votre discothèque, lectrices Cool, lecteurs Jazz.
Vous prenez n'importe quel enregistrement de Lee Konitz avec Warne Marsh (sax ténor), Stan Getz (sax ténor), Bill Evans (piano), Lennie Tristano (piano), Billy Bauer (guitare électrique) et vous savez que ce sera bon au minimum voire même excellent. Par exemple le " Live at the Half Note " (1959) avec Warne Marsh, Bill Evans, Jimmy Garrison (contrebassiste de John Coltrane de 1960 à 1967) et Paul Motian qui tutoie les sommets avec aisance. Deux oiseaux chantent sur une branche solide et mobile.
Dans cette lignée de saxophonistes Cool, il ne reste plus en activité aujourd'hui qu'un autre disciple de Lennie Tristano, qui épousa sa fille, Carol Tristano qui est aussi sa batteuse, Lenny Popkin (saxophone ténor), maintes fois célébré sur ce blog.
Pour sortir du Cool, l'album le plus Hot de Lee Konitz est certainement " Motion " (1961) en trio avec Sonny Dallas (contrebasse) et Elvin Jones (batterie). En dehors des références habituelles, je vous suggère l'album " Thingin " (1995) enregistré en concert en Suisse avec Don Friedman (piano) et Attila Zoller (guitare électrique). Du miel pour les oreilles.
Ces douze dernières années, Lee Konitz a beaucoup joué et enregistré avec le pianiste franco-américain Dan Tepfer (1982). Voir mes articles référencés ci-dessus et la vidéo sous cet article enregistrée en concert, en 2011, où Dan et Lee soir après soir réinventent un standard " All the things You are ".
Toutefois, pour finir cette liste d'albums recommandés de Lee Konitz, je souhaite insister sur une longue amitié, celle entre deux coetani comme disent les Italiens, Martial Solal (pianiste né en 1927) et Lee Konitz (1927-2020). Pour moi, le dialogue entre Lee Konitz et Martial Solal est aussi innovateur et fructueux que celui entre Louis Armstrong et Earl Hines ou entre Miles Davis et Herbie Hancock en leur temps. C'est un avis partiel et partial évidemment mais je le partage comme disait Monsieur Prudhomme. Outre les deux concerts privés chroniqués sur ce blog (voir ci-dessus), il existe des traces enregistrées de ces conversations instrumentales. Martial Solal est le musicien avec qui Lee Konitz a le plus joué dans ses 93 années.
D'abord " Impressive Rome " et " European Episode " enregistrés à Rome en 1968 en quartet avec Henri Texier (contrebasse) & Daniel Humair (batterie). Aujourd'hui réédité sous forme de double album, le quartet joue des standards et des improvisations. Mais les standards donnent lieu à des improvisations sidérantes ( cf " Collage on standards " où plusieurs s'imbriquent et s'enchaînent avec maestria) et les improvisations sonnent pures comme des standards. Porté par une telle rythmique, Lee Konitz met un tigre dans son moteur. Souple et puissant.
En 1974, Lee Konitz et Martial Solal jouaient en quartet au festival de Jazz d'Antibes-Juan-les-Pins avec NHOP (contrebasse) et Daniel Humair (batterie). C'est l'été, le quartet est dans la pinède Gould à Antibes-Juan-les-Pins avec vue sur la Mer Méditerranée. L'ambiance est relax, la musique complexe mais sans que l'auditeur s'en aperçoive tant il est charmé. Ils jouent des standards et une composition de Lee Konitz créée pour l'occasion, " Antibes " qui ouvre le concert. Cela s'appelle tout simplement " Lee Konitz. Jazz a Juan " sur le label danois Steeple Chase Records.
En 1977, Martial Solal et Lee Konitz se retrouvent en studio à Rome pour enregistrer enfin ensemble en duo. " Duplicity " est un double album dont le titre est à la mesure de l'invention et de l'humour de ses auteurs. En français, la duplicité qualifie une personne adepte du double langage, dont le comportement ne correspond pas à ses engagements. Ici elle relève du mot valise : duo + complicité = duplicité. Que des compositions personnelles. Les morceaux peuvent durer jusqu'à 18mn tant ces deux là ont à se dire, à nous dire.
S'ensuivirent des années de concert en duo, dans des salles prestigieuses comme dans des petits clubs serrés, où, chaque soir, Lee Konitz et Martial Solal réinventaient le Jazz, art de transformer le saucisson en caviar comme disait Barney Wilen. De standards éculés, ils créaient des perles rares. Cf l'extrait audio au dessus de cet article avec " Star Eyes " titre album d'un concert enregistré à Hambourg en 1983 par l'excellent label suisse Hat Hut. Ce soir là, Lee Konitz et Martial Solal chatouillaient les étoiles.
En 2015, Lee Konitz appela son ami Martial Solal, qui avait refermé le couvercle de son piano, en lui disant qu'il lui fallait s'y remettre car il comptait bien venir jouer avec lui en duo à Paris. Martial s'y est remis pour son ami Lee. D'où le concert privé de 2015 cité plus haut et un autre duo de Martial Solal, en 2016, avec Dave Liebman (saxophone ténor et soprano, flûte). Lee Konitz, lui, réapprit entièrement à jouer du saxophone alto après un AVC, à plus de 80 ans. Respect.
Lee Konitz eut très vite l'intelligence de comprendre qu'il était inutile de jouer comme Charlie Parker. Il fallait créer autre chose. Du sax alto sans vibrato, sans attaque. " Something else " comme disait un autre géant du saxophone alto, Ornette Coleman (1930-2015). Il le fit, du vivant même de Charlie Parker (1920-1955), ce qui lui valut d'être élu meilleur sax alto américain devant Bird. Bird ne lui en a jamais voulu, reconnaissant la nouveauté du style de Lee Konitz. Par contre, Boris Vian (1920-1959), en France, lancé dans sa croisade pour défendre les musiciens noirs (noble cause tant ils étaient maltraités par les maisons de disques, les patrons de clubs et les imprésarios de l'époque), écrivit de fortes méchantes choses contre Lee Konitz. Lee Konitz aimait expliquer qu'il s'était échiné pendant des années à jouer Bluesy, des blue notes mais qu'il avait renoncé car après tout, il n'était pas Noir. Il décida donc de jouer sa musique, de Blanc, de Juif (Gershwin, Kern, Hammerstein, Berlin...).
Lee Konitz, comme Martial Solal, était aussi réputé pour son sens de l'humour et son goût de la provocation mais jamais méchamment et gratuitement. Il aimait dire qu'il était devenu musicien de Jazz parce qu'il suffisait de connaître 7 morceaux par coeur pour faire carrière dans ce job. D'abord, il avait un peu plus de 7 morceaux à son répertoire, ensuite, il ne les jouait jamais de la même manière mais toujours avec le même style, celui qui fait l'identité des grands musiciens comme son fidèle complice français, Martial Solal.
" La mode passe, le style reste " (Coco Chanel). Lee Konitz restera.
Dan Tepfer a joué en direct sur sa page Facebook lundi 20 avril 2020 à 14h (heure de New York) un solo en hommage à Lee Konitz. Si, comme moi, vous le manquâtes, lectrices Cool, lecteurs Jazz, vous pouvez l'écouter en différé.
Dans la vidéo ci-dessous, Lee Konitz & Dan Tepfer interprètent chaque soir une version différente d'un standard rabâché, un des 7 que Lee Konitz connaissait par coeur, " All the things You are ".
La photographie de Lee Konitz est l'oeuvre du Cool Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de cette oeuvre sans l'autorisation de son auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales.