Chick Corea (1941-2021): Retour pour Toujours
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Lectrices piano, lecteurs forte, le décès d'Armando Anthony dit Chick Corea n'a pu vous échapper.
L'influence de ce pianiste, claviériste, batteur, compositeur sur la musique vivante depuis plus de 50 ans est tellement immense qu'elle mérite d'être saluée par des musiciens vivants tous très favorablement connus de nos services.
J'ai donc posé à plusieurs musiciens et compositeurs français les 3 mêmes questions:
1. Quels sont vos souvenirs personnels de Chick Corea (concerts, rencontres)?
2. Quelle influence a t-il eu sur votre musique?
3. Quels morceaux, albums recommanderiez vous d'écouter à ceux qui ne connaissent pas la musique de Chick Corea?
Voici leurs réponses.
Pierre Durand (guitare)
Leila Olivesi (piano, claviers)
Olivier Calmel (piano)
Evitons les superlatifs. Soyons simples. Chick Corea était un génie.
Il avait une capacité hors du commun à la mise en espace, à l’écoute, à la couleur, à l’interaction et au partage.
Depuis que je me souviens m’être intéressé aux univers des musiques improvisées et du jazz, Chick Corea était présent. Dès le début. En effet, lorsqu’on est adolescent dans les années 90, on s’attaque au répertoire par l’incontournable jazz fusion des années 70. Evidemment un musicien aussi accompli n’est pas identifiable ou réductible qu’à un seul univers, aussi vaste soit-il !
Chick Corea est musicien, tout simplement.
Ses influences sur ma musique et sur mon parcours sont immenses, depuis très longtemps. Quel pianiste en herbe n’a pas tenté de jouer de bout en bout une version de ‘" Spain " et de son introduction du concerto d'Aranjuez ? Quel musicien en devenir n’a pas joué les ‘" Children’s Song " dans une version pour son instrument personnel (il en existe tant !). A ce propos, je vous propose vivement l’écoute de la version vibraphone et marimba du duo Aisha Duo sur le disque Quiet Songs, par Andrea Dulbecco (Vibraphone) et Luca Gusella (Marimba). Quel artiste n’a pas proposé sa version de " La Fiesta " avec plus ou moins de possibles digressions ?
Son influence sur mon travail est d’autant plus forte que j’ai toujours eu un appétit pour les musiques rythmées et ensoleillées, les harmonies ouvertes, la modalité. Cela se trouve très clairement dans ma musique dont les contours se dessinent bien souvent entre le sud de l’Europe et l’Afrique du Nord. Chick Corea est aussi un dessinateur du temps, et de ce point de vue il m’a également grandement influencé. J’ai passé beaucoup de temps à écouter et relever ses improvisations sur certains standards, découvrir et redécouvrir la liberté qu’il insuffle sur des textes intemporels, les audaces harmoniques, les variations extrêmes d’énergies, de rythmes et de nuances qu’il propose. Au détour d’une grille, un élément en total apesanteur, comme ce fameux début de chorus dans le " Round Midnight " de " Play ". Intemporel, merveilleux et essentiel.
La discographie de Chick Corea est immense. Mes propositions d’écoute sont dictées par ma seule expérience personnelle avec sa musique, c’est arbitraire et subjectif. Evidemment, les albums avec Miles Davis, Return to Forever, l' Elektric Band, le trio ou encore l'Akoustic Band sont incontournables. Pour moi, ce sont surtout ses duos et solos qui m'ont le plus grandement touché :
- " Play ", son duo avec Bobby McFerrin, un album dont je ne saurais dire à quel point il fait désormais partie de mon ADN tant chaque note qu'il recèle me casse en deux d’émotion profonde. C'est un disque de captations de concert, sur des standards : " Spain " évidemment, mais aussi " Autumn Leaves " ou encore un " Round Midnight " dont la version m'émeut de la première note au dernier souffle. Ces musiques font pour moi partie de celles que j’emmène sur l'île déserte
- " An Evening With Herbie Hancock And Chick Corea in Concert ", son duo avec Herbie Hancock, dont la grâce et la justesse n'ont d'égale que le respect mutuel qui permet à chacun de trouver sa juste place. A un moment, il y aussi un solo, et je ne vous dirai ni où ni quand, mais il faut l'écouter, on ne peut pas vivre sans
- " Portraits ": un disque solo très intime ou l'artiste nous convie à sa lecture d'un répertoire à la fois large et cohérent : Powell, Monk, Wonder mais aussi Bartok et Scriabine. Il nous y livre une étendue infinie d'émotions et de champs des possibles
Comme je l’ai écrit, Chick Corea est musicien, tout simplement. Et il vivra éternellement.
Mes souvenirs personnels de Chick Corea sont les suivants. Sa contribution déterminante à 1969, l'année érotique de Miles Davis, avec deux albums cultes " In a silent way " (l'hiver) et " Bitches Brew " (l'été) et une série de concerts en 1969 avec un quintet de feu (Wayne Shorter, Chick Corea, Dave Holland, Jack de Johnette),puis un septet bouillonnant en 1970 (Steve Grossman, Keith Jarrett, Chick Corea, Dave Holland, Jack de Johnette, Airto Moreira) sans oublier le plus grand concert de l'histoire du Jazz, Miles Davis à l'île de Wight ( l'île où mourut Victoria Reine d'Angleterre et Impératrice des Indes en 1901) devant 600 000 spectateurs le 29 août 1970. 30 ans que j'écoute ces groupes et cette musique me fait toujours autant d'effet.
Au début des années 1990, j'eus la chance d'assister à un concert de Chick Corea en trio (Akoustic & Electrik Band) au Théâtre National de Bretagne à Rennes. Chick Corea passait du piano au clavier électrique avec une aisance stupéfiante. John Patitucci (contrebasse, guitare basse électrique) & Dave Weckl (batterie) étaient à son niveau, c'est-à-dire stratosphériques. A la pause, le personnel du théâtre distribuait aux spectateurs un carton sur lequel nous étions invités à laisser nos coordonnées pour recevoir " news and informations about Chick ". Comme je ne souhaitais pas entrer dans les bases de données de l'Eglise de Scientologie dont Chick Corea était un membre éminent, je n'ai pas répondu à cette invitation. Il n'empêche. Sur scène, c'était " La Fiesta ". Cf vidéo sous cet article.