Kenneth Clark " Ghetto noir "
Kenneth Clark " Ghetto noir " . Collection Petite Bibliothèque, Editions Payot, Paris, 1969, 310 p. Traduit de l'anglo-américain par Yves Malartic ( " Dark Ghetto: Dilemmas of social power ", 1965).
La photographie de Harlem a été prise le 23 juin 2006 par l'Immense Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de cette oeuvre sans l'autorisation de son auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales.
Kenneth Brandon Clark (1914-2005) fut le premier Noir américain diplômé en pyschologie de l'université de Columbia à New York et le premier Noir président de l'American psychological association. Son ouvrage " Ghetto noir ", aujourd'hui introuvable en français, alors que l'édition américaine demeure un classique de la sociologie et de la psychologie, décrit le fonctionnement de Harlem, à New York, le ghetto noir le plus célèbre d'Amérique du Nord notamment grâce aux Jazzmen.
Dans" The cool world " (1964) Shirley Clarke (rétrospective au Centre Pompidou, à Paris, du 16 au 29 septmbre 2013) réalise une oeuvre de fiction au plus près de la réalité puisqu'elle tourne avec des habitants du ghetto qui jouent leur propre vie mais Shirley Clarke, si elle vit alors avec un homme noir, est Blanche, issue d'une famille juive d'industriels millionnaires. Kenneth Clarke est Noir, est né, a grandi à Harlem, en est sorti grâce aux études. Ses expériences avec des poupées, en duo avec son épouse, elle aussi psychologue, Mamie Clarke (1917-1983) ont conduit la Cour suprême dans l'arrêt Brown vs Bureau of education (1954) à condamner comme inconstitutionnelle la ségrégation raciale de jure dans les écoles.
Le chapitre 6 du livre est consacré à " L'enseignement au ghetto: discrimination et inégalité ". Kenneth Clarke montre qu'il ne suffit pas d'abolir la ségrégation pour faire monter le niveau scolaire des enfants noirs. Encore faut-il que les parents blancs ne mettent pas aussitôt leurs enfants dans les écoles privées. Une logique qui se retrouve dans la France de 2013 privée de carte scolaire. Il faut aussi des moyens, des professeurs de valeur, qui croient dans le potentiel des enfants, qui les poussent vers l'excellence. Car le ghetto ne fonctionne pas seulement à cause de la volonté de majorité blanche (les Noirs représentaient alors 10% de la population américaine, chiffre qui n'a guère évolué depuis) mais aussi à cause de l'intériorisation du rapport de domination par la minorité noire ce que Kenneth Clarke appelle " La pathologie du ghetto " (chapitre 5).
Puisque l'auteur est psychologue, il consacre son chapitre 4 à " La psychologie du ghetto " démontant notamment les fantasmes sexuels des Blancs et des Noirs. La femme noire fait partie du butin de l'homme blanc alors que toucher à la femme blanche resta longtemps passible de mort pour les Noirs aux Etats Unis d'Amérique, souvent sans procès. Lire sur le sujet " S'il braille, lâche le " de Chester Himes qui quitta Harlem pour l'Europe, vivant en France puis en Espagne où il est mort et enterré, mais gardant toujours le ghetto en lui.
Ce livre est passionnant de la première à la dernière ligne car il mêle l'expérience vécue, la passion du militant (Kenneth Clarke fonda et dirigea HARYOU: Harlem Youth Unlimited Opportunities pour aider les jeunes du ghetto à construire leur avenir) et la rigueur du savant qui démonte les préjugés des Blancs comme des Noirs américains, appuyant là où ça fait mal, ne ménageant personne. Il parle de la drogue en des termes d'une modernité brûlante. Quel autre métier peut procurer autant d'argent à un jeune homme noir, non diplômé, qui vit dans le ghetto? Une question toujours d'actualité en France comme aux USA en 2013.
Kenneth Clarke était persuadé que la condition des Noirs aux Etats Unis d'Amérique ne pourrait s'améliorer ni pour des raisons morales ni pour des raisons politiques (10% de la population ne feront jamais une majorité) mais pour des raisons économiques, lorsque le Big Business décidera que mettre de côté de 10% des consommateurs et producteurs du pays, c'est vraiment trop de gâchis.
Il remarquait aussi que les Noirs Américains n'avaient d'africain que la couleur de leur peau. Leur mentalité, leur mode de vie sont américains. Le retour en Afrique est une vue de l'esprit. Il ne cite pas l'exemple du Liberia mais il aurait pu. Il remarque que les Noirs venus d'Afrique, d'une nationalité autre qu'américaine sont, eux, respectés et que si, par mégarde, le Blanc américain les traite comme un Noir américain, il s'en excuse dès qu'il a pris conscience de son erreur. Ce n'est certes pas un hasard si le premier président de couleur des Etats Unis d'Amérique, Barack Hussein Obama, est le fils d'un Kenyan et d'un Américaine.
Pour l'amateur de Jazz, ce livre est à lire pour comprendre le contexte dans lequel est né cette musique. Le Be Bop est la première musique de jeunes hommes noirs en colère et il est né à Harlem, dans le ghetto. Pour l'historien, le sociologue, le psychologue, c'est un ouvrage fondateur. Enfin, que vous soyez blanc de peau comme moi ou d'une autre couleur comme de miens amis, lecteurs de ce blog, ce livre vous instruira, vous remuera. Kenneth Brandon Clarke était un grand savant et un grand citoyen américain. Respect pour lui et son épouse, Mamie à qui ce livre est dédié.
Assez de mots. Place à la musique. Stevie Wonder, " Village Ghetto Land". Rien à ajouter.